A travers ses photos, Lisa mêle la cause féministe à sa passion : représenter toutes les femmes grâce à des portraits décomplexés, sans artifices ni retouches.
« C’est important pour moi d’être inclusive et de représenter toutes les femmes, pour qu’elles sachent qu’elles ont droit d’exister. »
Lisa
Objectif Nu – Depuis quand pratiques-tu l’art de la photographie ?
Lisa Deprat – Je pratique la Photographie depuis plus de 10 ans, je ne sais plus à quel âge exactement puisque j’ai une mémoire de poisson rouge concernant mon enfance, mais je dirais vers mes 11-12 ans.
Pourquoi avoir choisi le travail de corps nus en particulier ?
J’ai choisi de travailler le nu parce que l’humain est dans son plus simple appareil, nu, mais surtout pour permettre à mes modèles de se réapproprier leurs corps, de disposer de celui-ci, de l’observer sous tous les angles et de se rendre compte de la beauté et de la force qu’il a.
Comment définis- tu ton travail ?
Je dirais qu’il est bienveillant, sans artifice, juste véritablement vrai.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Elles sont partout ! Je m’inspire de tout. Dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un qui observe énormément. Adolescente j’adorais les trajets en bus pour découvrir de nouveaux détails de la nature.
Les réseaux sociaux sont aussi une très belle inspiration, toutes ces images, toutes ces personnes…
Mais si je dois nommer un nom, je dirais que ma toute première inspiration a été Solenne Jakovsky. J’ai découvert son travail quand j’étais adolescente et ça m’a aidé à me lancer.
Quel est ton processus créatif lors des séances ?
Il n’y en a pas vraiment, je fais beaucoup au feeling.
Je laisse tout le temps nécessaire à mes modèles, on discute, on boit un café, un thé… Quand elles sont prêtes, on se lance et je leur laisse le temps de s’approprier l’espace, je les guide, un peu de musique en fond si c’est en intérieur. Chaque séance est différente et je m’adapte à elles.
« Quand je photographie en extérieur c’est dans la nature et j’aime vraiment que ma modèle ne fasse qu’une avec, ça donne une puissance supplémentaire. »
Comment choisis-tu tes modèles ? Acceptent-ils de montrer leur visage ?

Je ne les choisis pas, ce sont elles qui viennent à moi.
La base de mon travail c’est que toutes les femmes sont les bienvenues, elles viennent avec leurs complexes, leurs traumatismes (ou non) et tout se fait naturellement.
Cela m’arrive que certaines veuillent garder les photos pour elles et donc elles me demandent de ne pas les publier. C’est primordial et normal d’accepter cette condition, mais j’ai souvent la belle surprise d’avoir finalement l’autorisation de les publier, parce qu’elles sont fières d’elles sur les photos.
Quelle est l’étape que tu préfères dans la réalisation d’un shoot et pourquoi ?
J’adore cette étape où je constate que ma modèle passe d’un état de gêne à un état d’aisance, d’affirmation.
En général, c’est assez rapide, quand j’observe les photos que j’ai déjà faites – au bout d’une dizaine de minutes – le visage est plus détendu et c’est une victoire personnelle : cela veut dire que j’ai réussi à mettre mon modèle à l’aise et ce n’est pas un exercice facile quand on est face à des personnes qui portent un bagage énorme et traumatisant sur le dos.
Quelle importance accordes – tu à la post-production ?
Quand j’ai commencé, c’était pour moi l’étape la moins importante. J’avais un petit logiciel de base, je n’osais pas explorer les possibilités qui s’offraient à moi. Et puis à force j’ai eu envie de plus, d’avoir une identité photographique, parce qu’elle passe tout autant dans la post production que dans la réalisation des photos.
J’ai donc découvert « lightroom » et l’incroyable possibilité de mélange colorimétrique que je pouvais faire.
C’est donc une étape importante pour moi, ça permet de différencier mes photos de celles des autres, de créer une ambiance. Mais je ne touche qu’à la colorimétrie, il est important pour moi d’assurer à mes modèles qu’elles n’ont pas besoin que je lisse ou retire quoi que ce soit qui se trouve sur leurs peaux.
Tu préfères : couleur ou noir & blanc ?
Pour mes photos, je préfère la couleur !
J’ai longtemps fait du noir et blanc mais je commence à m’en détacher de plus en plus, je trouve qu’au vu des environnements sur mes différentes photos, la couleur est importante ; je peux jouer avec les nuances et j’adore ça. Le noir et blanc oui, mais ça dépend de l’environnement et de l’ambiance pour que je l’apprécie vraiment.
Tu préfères : intérieur ou extérieur ?
Je dirais extérieur !
Également pour l’environnement, quand je photographie en extérieur c’est dans la nature et j’aime vraiment que ma modèle ne fasse qu’une avec, ça donne une puissance supplémentaire.
Quels sont tes projets artistiques futurs ?
J’aimerais beaucoup toucher un peu plus précisément à la vidéo, mettre en mouvement mon art.
Actuellement je travaille avec des artistes indépendants et cela m’apporte beaucoup et je pense pouvoir toucher la vidéo d’un peu plus près avec eux. J’ai également un projet personnel en tête à créer en vidéo, en espérant que je puisse l’aboutir et en faire quelque chose d’aussi bien que je l’imagine dans ma tête !
Pourquoi avoir accepté de participer au projet Objectif nu ?
J’ai décidé d’y participer parce que c’est une démarche très intéressante qui touche un sujet dont il faut continuer de parler constamment, pour que toutes les générations se cultivent, découvrent des artistes et surtout se déconstruisent sur la nudité.
Que souhaites-tu illustrer à travers tes photos ? Souhaites-tu véhiculer un message ?
Bien sûr, il est important pour moi que les femmes qui regardent mon travail se disent « Hey, mon corps ressemble au sien et il est beau ! ».
C’est important pour moi d’être inclusive et de représenter toutes les femmes, pour qu’elles sachent qu’elles ont droit d’exister, qu’elles ne valent pas moins qu’une autre parce que leurs corps n’est pas dans la norme que la société veut nous imposer.
Quel matériel as-tu utilisé pour la série de photos que tu souhaites partager avec nous ?
J’utilise un Canon EOS 80D avec en majorité un objectif 50mm et 24mm !
Peux-tu nous détailler tes choix artistiques ?
J’aime la simplicité, mettre mon sujet au centre de mes photos : mes modèles. Mais si je peux le faire dans un environnement serein, chaleureux avec des plantes et des meubles rétro alors le combo me plait énormément.
J’adore faire des plans serrés de détails qui m’interpellent : une cicatrice, des vergetures, une main sur le visage… Pour mettre un peu de poésie sur ces gestes et détails qui font beaucoup d’une personne.
FOCUS SUR DES SUJETS DE SOCIÉTÉ
Objectif Nu – Comment ressens-tu la censure sur les réseaux ?
Lisa Deprat – Comme une injustice ! Simplement.
Agis-tu en fonction de l’algorithme d’instagram ?
C’est très aléatoire, aujourd’hui j’ai bien compris que peu importe nos efforts, finalement on n’est pas récompensé. Et puis c’est pénible d’user de stratégie pour avoir 10 likes de plus ! L’algorithme d’instagram devient très aléatoire, j’ai beau analyser, ça n’a pas de sens. Alors comme mon travail est en danger dans tous les cas : je ne me prends plus la tête !
As-tu subi le « Shadow ban » ?
Oui, et ce pendant des mois, je pense même que ça a duré une année entière. Aujourd’hui étonnement je ne le suis plus, mais ça ne saurait tarder.
Ressens – tu cette censure dans la société en général ?
Bien sûr, les femmes ne disposent toujours pas de leurs corps comme elles le souhaitent et c’est un problème constant, partout, tout le temps.
Que penses-tu du « body positive » ?
« J’aime parler de « selflove » pour englober tout le monde, pour ne pas faire d’ombres aux personnes qui subissent la grossophobie. »
J’aime beaucoup ce mouvement, il libère la parole des femmes grosses, celles qu’on censure, qu’on invisibilise, celles à qui on dit qu’elles n’ont pas le droit d’exister.
C’est important de faire un rappel également mais le body positive a été créée par une femme grosse pour les femmes grosses.
J’aime parler de « selflove » pour englober tout le monde, pour ne pas faire d’ombres aux personnes qui subissent la grossophobie.
Que penses-tu de la représentation des corps dans la société, peut-on parler de diversité ? (selon le genre, l’âge, la couleur de peau etc..)
Représentation des corps totalement absente dans la société. Sur les réseaux sociaux, ça commence à se voir mais si on sort dans la rue et que l’on regarde les vitrines des magasins et les publicités dans la rue, ce n’est pas le cas et c’est vraiment triste, parce que finalement tout le monde gagnerait au change.
Dans les magasins, les tailles sont de plus en plus petites. Aujourd’hui la seule marque qui est connue de tout le monde et qui est déconstruite sur la diversité, c’est « Kiabi », je vois des personnes en fauteuil roulant des personnes grosses, des personnes amputées, des personnes noires… et ce n’est pas que dans leurs pub mais également dans leurs magasins. Il y a des rayons pour les personnes grosses et leurs mannequins sont gros ! Ca c’est agréable et satisfaisant à voir.
Merci Lisa pour avoir répondu à nos questions, nous pouvons dès aujourd’hui retrouvez tes photographies sur lien de l’exposition jusqu’au dimanche 24 janvier.
Pour les plus curieux.ses qui souhaitent en savoir d’avantage sur ton travail, nous les invitons à consulter ton site internet.