Interview d’Elie Villette

Amoureux de design, de nature et des corps, c’est muni de son argentique qu’Elie Villette met en scène les hommes qu’il rencontre avec une esthétique bien à lui.

« Mes séances se déroulent de façon assez naturelle, même si j’ai souvent une idée assez précise de l’histoire que je veux raconter, je laisse les pages s’écrire quasi  instinctivement une fois sur le set. »

Objectif Nu – Depuis quand pratiques-tu l’art de la photographie ?  

Elie Villette – Je pratique la photographie depuis une dizaine d’années, à mes débuts de  façon très autocentrée, en produisant de nombreux autoportraits, des mises en  scène, qui interrogeaient certainement mon identité, ma masculinité, ma  liberté.  

Aujourd’hui mon regard se porte plus volontiers sur l’autre mais toujours avec ce  zeste d’absurde qui me rassure sur la futilité de nos existence qui ne tient à rien  sinon au désir, à l’amour.

Pourquoi avoir choisi le travail de corps nus en particulier ? 

Je n’ai pas la sensation de l’avoir choisi, c’est peut-être plutôt lui qui m’a choisi.  J’ai toujours été fasciné par la nudité. Cela a certainement à voir avec la quête de ma propre identité sexuelle, le décalage et l’incompréhension qui sont venus  me bousculer à l’adolescence.  

Comme beaucoup d’ado, je crois, je feuilletais les pages sous-vêtement de « La  Redoute » et je fantasmais sur certains de mes camarades dans les vestiaires de  sport. Et puis il y avait ce livre jauni dans la bibliothèque de mes parents, je ne  me souviens plus exactement du nom mais ça sonnait comme « Les secrets de  l’entente sexuelle », écrit par un sexologue tout droit sorti d’un épisode de Derrick.  Il y avait un paragraphe sur l’homosexualité, ça m’a ouvert le champs d’un  possible, surtout avec cette image d’un jeune garçon tout nu, tout bronzé, la guise à l’air sur une plage, pour ouvrir le passage concernant la puberté. Je  pourrais dessiner cette image les yeux fermés.

Comment définis-tu ton travail ?  

Je n’ai pas encore assez de recul pour qualifier mon travail pour l’instant, mais c’est un peu « la vie, la vraie, Auchan », le  tout passé au filtre de mon cerveau zinzin : ses excès, ses emballements, une  vision idéaliste, un réalisme maquillé et chargé d’érotisme.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?  

J’aime les scènes de la vie quotidienne … « Martine à la ferme », « Martine à la  plage », c’est d’ailleurs souvent « Martine à la plage » – tout du moins souvent près  d’un plan d’eau- certainement parce que cela appelle la nudité, des moments  suspendus où les corps s’expriment plus librement. 

Je ne sais pas à quel point ses inspirations se retrouvent dans mon travail, mais il y a  effectivement grand nombre d’artistes qui m’émeuvent particulièrement.  Je pense aux clichés volés sur les plages de Rio du brésilien Alair Gomes ; aux glaïeuls et aux lys de Mapplethorpe (évidemment) ; à la série  « Hustlers » – ma préférée – de Philip-Lorca diCorcia, la lumière est dingue, j’en retrouve un peu dans les images du Suisse Reto Schmid et du plus  jeune Igor Pjörrt.  

La dimension anthropologique du vêtement chez Hal Fischer ou Karlheinz Weinberger me parle aussi beaucoup, étant diplômé d’archéologie.  Et de façon inconditionnelle, la mathématique des corps de Ren Hang qui, pour  moi, a clairement repensé l’équation du nu. 

« Même si je suis plutôt d’humeur année 2000 en ce moment, façon « Latino Fan  Club » de Brian Brennan, avec Tyger Tyson à poil ! »

Ouvrage photographie de Brian Brenna « Latino Fan Club« .

Quel est ton processus créatif lors des séances ?  

Mes séances se déroulent de façon assez naturelle, même si j’ai souvent une idée assez précise de l’histoire que je veux raconter, je laisse les pages s’écrire quasi  instinctivement une fois sur le set, certainement aidé par mon expérience pro de  responsable photo dans la presse.

Comment choisis-tu tes modèles ? Acceptent-ils de montrer leur visage ? 

Au fil de mes rencontres, je vois du beau en chacun de nous, je ne suis pas du  tout dans un trip de perfection esthétique.  

J’aime les garçons, évidemment, mais plus encore les garçons avec lesquels on  peut s’inventer des histoires.  

Cacher les visages ne m’intéresse pas, à part si cela à un sens dans la  scénographie. En général je choisis des modèles qui ne sont pas nécessairement  à l’aise avec la nudité mais qui ont a minima envie de s’y confronter.

Quelle est l’étape que tu préfères dans la réalisation d’un shoot et pourquoi ?

Peut-être l’instant même du shooting. Je me jette un peu partout, je fume clope  sur clope et je suis complètement dans ma bulle.  

Comme je shoot toujours à l’argentique, le développement des films, quand je  reçois les scans, aussi. Il y a toujours de belles et de mauvaises surprises. Mais le plus intéressant dans tout ça, c’est peut-être les à coté de l’image, 

les gens rencontrés, les anecdotes comme lorsque je suis parti shooter le jeune  acteur Pierre Emo au Havre cet été. J’ai crevé à seulement quelques centaines  de mètres de sa maison familiale. Il a débarqué en tenue de pompier – allez savoir pourquoi sachant que je le shootait en marin naufragé – avec son père pour  m’aider à changer la roue, sous une pluie battante, épique ! Ou encore cette  rencontre avec Julien et Quentin dans la ferme des parents à poils au  milieu des oies et des petits veaux, en panique au moindre aboiement des chiens  de peur d’être surpris nus comme des vers !

Quelle importance accordes – tu à la post-production ?  

Je photographie toujours en couleur et souvent en extérieur.  La nature a une place de choix dans mes images, elle fait partie intégrante des  histoires que je raconte.  

Je ne retouche pas mes images. Chez moi, la post prod se résume au choix des  images et à rester fidèle à la lumière du shoot lors des scans avec le labo.

Quels sont tes projets artistiques futurs ?  

Je suis actuellement entre Rio de Janeiro et Sao Paulo où je prépare un fanzine sur  l’obsession du corps au Brésil, forcément kitsch, il sera édité aux « Éditions  Presse Douce ».  

J’ai aussi commencé à m’intéresser aux garçons de ma Normandie natale.  L’isolement et la difficulté à vivre sa sexualité dans des lieux retirés, apportent  finalement beaucoup plus d’exotisme de sincérité.  

D’un travail au départ photographique j’aimerais en faire un documentaire vidéo d’auteur, sincère et réaliste.  

Pourquoi avoir accepté de participer au projet Objectif nu ? 

L’équipe d’Objectif nu m’a proposé de prendre part au projet. Il m’est  apparu comme faisant totalement sens avec mon travail et les valeurs que j’y  défends.  

Quelles sont ces valeurs défendues ?  

Je ne considère pas mon travail comme étant politique même si de facto tout  est politique. S’il doit défendre une chose c’est la liberté, la liberté de vivre sa vie  comme on l’entend, comme on se la fantasme, comme on se la ment.

Quel matériel as-tu utilisé pour la série de photos que tu souhaites partager  avec nous ?  

Le corpus que je présente pour « Objectif nu » est composé d’histoires de fesses,  comme souvent.  

Photographie prise par Elie Villette, issue de la série « Le Cul sur la Commode », 2020.

Il y a celle de Léo, tout d’abord, 3 photos de la série « Le cul sur la commode »,  shootée dans mon studio parisien avec les meubles et objets que j’y entasse. Une série qui mêle espièglerie et un certain sens de l’absurde pour se jouer des codes de l’érotisme. Elle interroge ironiquement notre rapport  au corps en plaçant le spectateur dans un rapport paradoxal aux objets. Tout y est question d’équilibre. Qu’est ce que l’équilibre aujourd’hui, dans un monde  toujours plus sur le fil ? Qu’est-ce que l’équilibre, aujourd’hui, dans un monde où le  temps est suspendu par la pandémie ? C’est aussi un temps suspendu, une apesenteur, pour combien de temps encore. Une photographie sculpturale, shootée en lumière du jour avec mon  Moyen format, un Mamiya M645 Super.

Celles de Thomas, issues de ma série « Copain des bois », shootée un après midi  d’été à la rivière et puis Victor sur sa plage natale de L’île-aux-Moines, surnommée  « Tahiti Beach », capturé avec le vieux Canon AE1 de mon père, sur le le reflet de  l’eau.  

Au-delà de sa beauté plastique, l’eau, c’est une quête de liberté, des petits bouts du  monde où l’on se retrouve, entre amis, amants, un état d’apesanteur pour l’âme,  pour les corps aussi.

FOCUS SUR DES SUJETS DE SOCIÉTÉ 

« Il y avait bien Tumblr, véritable lieu d’exploration des sexualités, c’est d’ailleurs  grâce à ce réseau que je me suis véritablement intéressé à la photographie. »

Objectif NuComment ressens-tu la censure sur les réseaux ?  

Elie Villette – La pression sur les réseaux est très forte et étant relativement têtu, j’en ai  longtemps fait les frais.  

D’abord sur Facebook, où je me suis fait bloquer mon compte sur des périodes  d’un mois plusieurs fois pour du nu, allant même jusqu’à me faire bannir pour une photo de Javier Bardem en slip dans le film Jamón, jamón… Depuis je ne me connecte qu’occasionnellement sur Facebook.  

Instagram, lui, était plus permissif, avant son rachat par Facebook en tout cas…  Tu avais droit à plusieurs vies, ce qui ne m’a  pas empêché de me faire supprimer sans sommation trois comptes. Je l’ai toujours vécu comme un drame mais je  continue toujours d’essayer de faire passer un bout de gland dans un décor, en  serrant les fesses, ça passe rarement je dois le reconnaître. Donc forcément la  censure est très contraignante.  

Il y avait bien Tumblr, véritable lieu d’exploration des sexualités, c’est d’ailleurs  grâce à ce réseau que je me suis véritablement intéressé à la photographie.  C’était un espace de liberté pour la photographie de nu et plus particulièrement  l’homo-érotisme. Et puis pour satisfaire Apple, la suppression des contenus adulte a tout bouleversé, la plateforme est depuis à l’agonie il me semble.  Je reste aussi étonné par l’apparition de nouvelles plateformes comme  Onlyfans qui permettent effectivement de contourner la censure mais n’a pas la  même finalité. Même si Onlyfans peut démocratiser l’homo-érotisme, le rendre  accessible à tous et faire de chacun d’entre nous des artistes en quelques sortes c’est génial. Mais n’est pas photographe qui veut, porter son regard sur l’autre, ou  même sur soi, c’est une posture, voir un engagement, qui va au-delà du simple  egotrip je crois. De toute façon ce n’est pas la même temporalité, et dans la  photo on cherche des instants d’éternité.  

Ressens-tu cette censure dans la société en général ?  

J’imagine que la censure sur les réseaux est le reflet de la censure telle qu’elle  s’applique à plus grande échelle dans la société, regain puritain, ou volonté  capitaliste de tout monnayer ? Je n’ai pas encore trouvé la réponse.

Merci beaucoup Elie pour t’être prêter au jeu de cette interview. Nous pouvons dès aujourd’hui retrouvez tes photographies sur lien de l’exposition jusqu’au dimanche 24 janvier.

Pour les plus curieux.ses qui souhaitent admirer ton travail, nous les invitons à consulter ton site internet.